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Bonjour !
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Cette photo de Kamala Harris, apparue lors de
la dernière campagne présidentielle américaine,
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n’est pas une photo de Kamala Harris. Il
s’agit d’une image, créée à l'aide de Grok,
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l'intelligence artificielle du réseau
social X. C’est même son propriétaire,
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Elon Musk, qui l’a mise en ligne pour
attaquer l’adversaire de Donald Trump.
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Pour l’homme d’affaires, peu importe que
cette image soit vraie, ou même vraisemblable.
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L’important est que ceux qui l’ont vue, y ont
reconnu Kamala Harris et ont pu s’imaginer qu’elle
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comptait imposer le communisme en Amérique.
Le symbole d'une Intelligence artificielle,
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sans filtre, qu’Elon Musk entend mettre
au service d'un projet politique.
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Une femme d'une cinquantaine d'années à la
peau mate et aux longs cheveux noirs, vêtue
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d'un uniforme de style militaire, regarde vers le
ciel. Cette photo, les 200 millions d’abonnés du
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compte X d’Elon Musk ont pu la découvrir le 2
septembre 2024. Ce jour-là, l'homme d'affaires
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poste plus de 100 messages sur ce réseau social,
qu’il a racheté en 2022 quand il s'appelait encore
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Twitter. Un rythme habituel pour lui.
Dans l’un d’entre eux, il poste cette
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image qui évoque l’iconographie soviétique.
L’uniforme est rouge, la casquette ornée
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d’une faucille et d’un marteau, des éléments
qu’on retrouve sur le drapeau de l’ex URSS.
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Dans le flou de l'arrière-plan, on devine la foule
de spectateurs d'un meeting politique, prêts à
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suivre leur leader. L'homme d'affaires a légendé
le cliché ainsi : « Kamala s'est jurée d'instaurer
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une dictature communiste dès le premier jour. Vous
vous rendez compte qu'elle porte cette tenue !? »
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Par ce message, Elon Musk répond à
un tweet de Kamala Harris, qui avait
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affirmé qu'elle comptait battre Donald Trump,
afin de l’empêcher de se comporter en dictateur.
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Une référence, imprécise, à un discours tenu
par le candidat républicain en décembre 2023,
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à propos de ses plans, hautement stratégiques,
en cas de retour à la Maison Blanche.
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Ce tweet d'Elon Musk a été vu plus de 84 millions
de fois. Il a suscité des dizaines de milliers
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de réponses, approbatrices ou critiques.
Plusieurs d'entre elles, très relayées,
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reprochent notamment au propriétaire de X de se
livrer à une manipulation dangereuse, à l'aide de
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l'intelligence artificielle, le tout en violation
des règles fixées par son propre réseau social.
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Car si la photo s'adresse à Kamala Harris,
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elle ne représente pas Kamala Harris mais
son double virtuel. Elon Musk ne précise
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pas sa source mais il est le tout premier à
l’utiliser et donc son très probable créateur.
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L’image a été initiée par Grok, un programme
d'intelligence artificielle lancé sur X qui
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inclut un outil de génération d'image,
inauguré en août 2024. Son utilisation
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est réservée aux abonnés du réseau
social. En tapant ce qu'on appelle
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un prompt, une suite de mots-clés, ces
indications peuvent générer une image.
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Contrairement à d’autres générateurs
d’images comme Dall-E d’OpenAI ou “Gemini”
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de Google qui bloquent les requêtes
mentionnant explicitement le nom d’une
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personnalité ou d’une activité violente,
Grok laisse tout passer... ou presque.
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Elon Musk en a fait la parfaite démonstration pour
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brocarder Kamala Harris, à l'aide
d'une photo créée de toute pièce.
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Callum Hood est directeur de la recherche
du Center for Countering Digital Hate, une
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ONG anglo-saxonne de lutte contre la
désinformation en ligne. Cet habitué
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des images créées par l’IA repère dans celle
postée par Elon Musk des indices irréfutables.
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Quand nous regardons cette image de Kamala
Harris vêtue d'un uniforme communiste,
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des signes révélateurs d’une possible
génération par l’intelligence artificielle
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apparaissent : la peau comme l’uniforme
arborent une texture quelque peu plastique,
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et l'arrière-plan est très flou et indistinct. De
plus, l'uniforme n'a pas de fondement historique,
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les dictateurs communistes ne
portaient pas d'uniformes rouge et or.
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Les IA ne sont pas si sophistiquées que ça. Si
elles notent une association étroite entre le
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terme “communisme” et les couleurs rouge et or
ou le symbole d'un marteau et d'une faucille,
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ces ingrédients peuvent finir
combinés dans une même image.
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Les humains sont doués pour reconnaître
les visages et les petites différences
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dans les traits, et on peut voir que ce visage,
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bien qu'il ressemble à celui de Kamala
Harris, ne semble pas tout à fait vrai.
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De nombreux internautes se
sont d’ailleurs étonnés,
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ou amusés, des difficultés qu’éprouve Grok à
représenter Kamala Harris : sur ces images,
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elle s’avère beaucoup moins ressemblante
que celui qui l’a battue, Donald Trump.
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Quelqu'un comme Donald Trump, qui a déjà
été président, a des millions d'images de
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lui disponibles sur Internet. Il est donc très
bien représenté dans le processus d’entraînement
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par lequel passent ces outils, qui deviennent
plutôt bons pour produire des images de lui.
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Pour d'autres personnes, y compris
Kamala Harris, qui est célèbre,
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mais moins, vous verrez qu'il
y a un peu plus de variations.
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Ces fausses images de personnalités politiques
se sont multipliées depuis le lancement de Grok.
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Des internautes l’ont tour à tour utilisé pour
représenter Elon Musk en lapin géant Trumpiste,
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pour le mettre en couple avec Kamala
Harris, pour transformer Donald Trump
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et la candidate démocrate en pirates
du 11 septembre ; pour montrer Joe
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Biden jonglant avec une tronçonneuse
ou Obama et Bush accros à la cocaïne.
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Rien de plus facile que de créer une telle image,
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soit par une demande directe,
soit de manière plus détournée.
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Par exemple, dans notre rapport, nous
avons demandé à Grok de produire une
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image d'hommes portant des casquettes
rouges et marchant vers le Capitole des
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États-Unis pour une célébration. Il est
assez clair que le générateur d'images
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semble avoir été influencé par des images de
l'attaque du 6 janvier contre le Capitole.
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Certes, une image générée par l’IA ne peut
être utilisée pour créer un évènement de A
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à Z ou convaincre par exemple qu’un candidat a
fait quelque chose qu’il n’a jamais fait. Mais
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elle peut toujours être utilisée pour servir un
discours ou diffuser un message de propagande.
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Et plus inquiétant encore, il existe
un risque que la mise en circulation
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de nombreux deep fakes relativement convaincants
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puisse progressivement ronger la connaissance que
les gens ont de ce qui s'est réellement produit.
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Cette image de Kamala Harris postée par Elon
Musk ne constitue pas une provocation isolée :
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elle s'inscrit en réalité dans
une stratégie informationnelle,
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très réfléchie, dont Grok n’est
que l’un des très nombreux outils.
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On a, en fait, dans cette image un double ADN. On
a à la fois l'ADN qui est celui du réseau social
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Twitter ou X, qui est vraiment basé sur la
réaction, voire la surréaction. Et un des enjeux,
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c'est effectivement d'être le premier à répondre,
à surenchérir, et de faire en sorte que souvent
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la réponse attire plus de commentaires, de
likes ou de partages que le post initial.
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Et puis on a aussi à côté de ça,
une transcription littérale de
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l'agenda idéologique de Musk et de Trump,
c'est-à-dire cette idée qu'effectivement
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tout ce qui n'est pas conservateur
serait immédiatement communiste.
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L'idée de Musk, c'est d'afficher à l'intérieur
de Grok l'absence des limites habituelles qui
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sont affectées à ces générateurs de
textes ou à ces générateurs d'images.
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Celle de Kamala Harris restait relativement
soft mais on a derrière Grok des générations
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d'images qui peuvent être beaucoup plus
problématiques. Grok n'a pas les limites
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que s'autofixent les autres générateurs d'images.
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Ces derniers mois, Elon Musk
s’est amusé à rebaptiser ChatGPT,
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un de ses principaux concurrents sur le
marché de l’IA, “Woke GPT” : il le trouve
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trop politiquement correct.
Lui, le clame haut et fort,
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si jamais l’IA doit prendre le contrôle de
l’humanité, au moins qu’elle nous fasse rire.
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Ce que permettent de documenter ces
outils d'IA, c'est l'évidence que la
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“personnalité” entre guillemets, qui
leur est attribuée n'est très souvent
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rien d'autre que le reflet de celle de
son fondateur ou de son propriétaire.
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Il y a une figure mythologique qui est assez peu
connue, qui s'appelle Momos. Momos, c'est le dieu
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de la raillerie et de la critique sarcastique.
C'est le fils de la nuit et des ténèbres dans
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la mythologie grecque. Et c'est quelqu'un qui, à
force de se moquer de l'ensemble des dieux, va se
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retrouver exilé, fichu à la porte. Et le seul qui
va daigner l'accueillir, c'est le dieu Dionysos.
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La relation entre Musk et Trump me fait un petit
peu penser à celle entre Momos et Dionysos.
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Cette mécanique du sarcasme et de la
provocation, Elon Musk l’a abondamment
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exercée grâce à Grok. On l’a vu représenter
un juge brésilien avec qui il est en conflit,
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sous les traits d’un sorcier ou
derrière les barreaux avec des menottes.
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Il a aussi créé de toutes pièces des images
d’animaux attendrissants, afin de renchérir
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sur une accusation mensongère de Donald Trump
lors de la récente campagne présidentielle :
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Celle selon laquelle les immigrés haïtiens de
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l'Ohio mangent des chiens
et des chats du voisinage.
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Si Musk fait ça, c'est parce que derrière ce
projet d'intelligence artificielle, tel qu'il
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le met en place dans son agenda politique,
ce qu'il vise, c'est un effet de décrochage.
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C'est-à-dire qu'il s'agit vraiment
de saturer l'espace de discours à
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l'intérieur de sa plateforme, mais aussi
au-delà, avec des images qui sont le plus
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possible générées artificiellement pour qu'à
la fin on n'ait plus comme référent ou comme
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référence que des images qui elles-mêmes
n'ont plus de prise directe avec le réel,
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sinon par le prisme de cette imitation
que permet l'intelligence artificielle.
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Au cours de la dernière campagne
présidentielle américaine,
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Elon Musk a très clairement choisi son
camp. Quelques heures après la large
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victoire de Donald Trump, le 5 novembre
2024, l’homme d’affaires postait sur X une
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photo de lui saluant le drapeau américain
pour célébrer la victoire de son favori.
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Une photo, créée quelques semaines plus tôt par
l’un de ses supporters, à l'aide de l'intelligence
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artificielle. Seul problème : sur cette image,
le drapeau américain ne comporte que 11 bandes,
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au lieu des 13 traditionnelles, qui représentent
les 13 états fondateurs, sur la bannière
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étoilée. Un détail qui n’a manifestement
pas frappé ce partisan d’une IA débridée.
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C'était une enquête de Jean-Marie Pottier pour
Le Dessous des images. Salut à tous !