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Mes camarades, bien le bonjour ! On a
souvent l’occasion de le dire : en Histoire,
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il faut pas trop juger les gens du passé, ni
ceux du présent, d’ailleurs ! Parce que non,
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les populations nomades, chasseurs-cueilleurs
et autres “homme des cavernes” n’ont pas
00:00:13
été remplacés par l’homme des champs,
l’agriculteur sédentaire moderne. En fait,
00:00:18
un intermédiaire est apparu entre
les deux, et c’est l’homme des bois.
00:00:22
Ça n'a rien de péjoratif, bien au contraire :
à travers le temps, le forestier a pris le
00:00:26
meilleur des deux mondes, devenant même le
grand ami de l’homme des champs. À travers
00:00:31
toute l’Antiquité et le Moyen Âge, il a été tour à
tour une activité économique, une classe sociale,
00:00:36
et même un mode de vie. Et de nos jours,
il se décline en mille métiers : bûcherons,
00:00:41
gardes-chasse, gestionnaires, sylviculteurs,
élagueurs, naturalistes, tous travaillent
00:00:46
pour ou avec l’ONF, l’Office National des
Forêts, qui est partenaire de cet épisode.
00:00:52
Aujourd’hui, on va donc découvrir l’un des plus
anciens et formidables métiers de l’Histoire,
00:00:57
nécessaire à la survie de notre société
sédentaire ! Ça fait un sacré héritage, et
00:01:01
surtout une belle responsabilité à porter, surtout
avec les défis climatiques qui nous attendent !
00:01:06
Alors commençons par ce fameux cliché de
“l’homme des bois” sauvage : d’où ça vient ? Durant
00:01:11
l’Antiquité, les bâtisseurs ont tout à fait
l’habitude d’exploiter le bois. Aux yeux des
00:01:16
Romains, celui venu des Gaules, de Belgique et de
Germanie a particulièrement bonne réputation. Lors
00:01:22
de son offensive de 218 avant notre ère, Hannibal a pu
compter sur cette ressource stratégique pour surmonter
00:01:28
les obstacles naturels : c’est avec le bois des
Gaules qu’il fabrique canots, radeaux et navires
00:01:33
pour traverser le Rhône, et c'est avec celui-ci qu’il
réchauffe ses troupes lors du franchissement des Alpes.
00:01:39
Bien plus tard, de 58 à 50 avant notre ère, c’est un autre
grand stratège, Jules César qui constate l’importance
00:01:46
vitale du bois lors de la Guerre des Gaules. Bien
que le pays soit déjà administré et défriché,
00:01:51
les différents peuples des Gaules peuvent
compter sur de vastes forêts. Pour leurs navires,
00:01:55
mais aussi leurs grands boucliers de bois et
d’osier. César prend le temps de noter toute la
00:02:00
diversité des espèces qu’ils utilisent, et comment
ils fabriquent des murailles en bois vivant, garnies
00:02:05
de ronces et d’épines. Ils trouvent aussi
refuge ou dressent leurs embuscades dans des
00:02:10
espaces forestiers, des camps retranchés servant
de points de repli et de bases pour lancer des raids.
00:02:15
Diodore de Sicile, Strabon, et Pline l’Ancien
reprennent et complètent ce que César a vu,
00:02:20
et sous leurs plumes les Celtes des forêts
deviennent de véritables chimistes : la
00:02:24
sève de l’if est un poison pour
les flèches, la résine de cèdre
00:02:29
embaume les têtes des ennemis, les cendres
de hêtres font du savon, les bouleaux et les
00:02:34
épineux donnent toutes sortes de colles, de poix, et
de bitumes pour la navigation et la construction !
00:02:40
Et il faut encore ajouter le frêne
des roues de chariot et des navires,
00:02:43
le chêne des charpentes, le noisetier des
arcs, etc., etc. On a donc déjà atteint un haut
00:02:49
degré de savoir-faire et de maîtrise technique.
Mais attention, c’est pas parce qu’on maîtrise
00:02:53
la science du bois qu’on a domestiqué
tous les espaces boisés… Loin de là !
00:02:58
Aux yeux des Romains, le monde civilisé
a ses limites. Cette frontière invisible,
00:03:02
c’est le "foris", le seuil, ce qui est à l'extérieur,
étranger, lointain. Il y a donc deux types de
00:03:08
bois : la "silva", ou espace sylvestre, marqué par
l’activité humaine, bien administré et exploité,
00:03:15
illuminé par la lumière civilisatrice de Rome.
Et puis la "silva forestis", la forêt, qui est
00:03:21
le bois du dehors, sauvage, dangereux, plein de
ténèbres et de mystères. Comme par hasard, vers la
00:03:27
Belgique et la Germanie, plus César s’éloigne de
la lumière de Rome, plus il insiste sur les forêts
00:03:33
primitives, profondes et obscures, garnies de
peuples forestiers prêts à lui trancher la gorge !
00:03:38
En réalité, il plaque sa vision des choses
sur un espace qu’il ne maîtrise pas : nul
00:03:42
doute que les Germains, de leur côté,
connaissaient très bien leurs forêts !
00:03:45
Cela dit, c’est vrai que tout territoire abandonné
des humains finit souvent par devenir une forêt.
00:03:50
Alors les Celtes aussi peuvent y voir un lieu
non-humain. Par exemple, lorsque les peuples
00:03:55
Vélioccasses et Bellovaques, c’est-à-dire entre
les actuelles villes de Rouen et de Beauvais,
00:04:00
ont cessé d’entretenir de bonnes relations, une
zone-tampon désertique a fini par apparaître
00:04:05
entre les deux. L’archéologie révèle un abandon
progressif de cet espace, où les bâtisses ne sont
00:04:10
plus réparées, et où bientôt seules restent
des tombes. Des tombes… et des arbres ! La
00:04:15
forêt qui grandit alors existe encore, c’est
la forêt de Lyons, entre Beauvais et Rouen !
00:04:21
Comme on l’a dit, ces espaces en marge
peuvent devenir des zones de repli,
00:04:24
par exemple lors de la Guerre des Gaules. C’est
là aussi dans ce "pagus", de ce pays des païens,
00:04:30
que les traditions perdurent le plus longtemps.
D’où la chasse aux druides que les Romains mènent
00:04:34
parfois dans le monde celte, en ciblant les
forêts et les bosquets sacrés. Les prédicateurs
00:04:38
chrétiens prennent ensuite le relais. Sulpice
Sévère raconte par exemple comment des païens
00:04:43
laissent Saint Martin raser un temple très ancien.
Mais lorsqu’il va s’attaquer à l’arbre sacré du
00:04:48
sanctuaire, la population se soulève :
abattre un temple, oui, mais un arbre,
00:04:53
ça, jamais ! Attention tout de même : les peuples des
Gaules avaient des giga-temples dans les grandes villes,
00:04:59
et les espaces sacrés sauvages, du type
sources, grands arbres, bosquets, étaient
00:05:04
loin d’être les épicentres de leur religion…
Mais ça a juste été les derniers à disparaître.
00:05:08
D’où le fameux cliché, qui a continué de
circuler dans tout le Moyen Âge chrétien jusqu’à
00:05:12
nos jours : c’est la forêt interdite d’Harry
Potter, le pays des brigands de la Robin des Bois,
00:05:18
ou des ténèbres païennes pas encore
éclairées par le christianisme. Un jour,
00:05:22
on fera un épisode spécial sur la forêt au Moyen Âge,
promis, mais je vais résumer quand même l’essentiel.
00:05:27
Revenons à la forêt de Lyons. Jusqu’au
2e siècle, elle avait une frontière marquée,
00:05:31
et une route. Mais du 2e au 4e siècle, elle est
abandonnée aux tombes, et ça devient un peu
00:05:37
la forêt des morts ! Ce n’est qu'au 9e siècle
que les rois carolingiens viennent y chasser,
00:05:42
et à partir du 10e siècle environ,
le cours d’eau de l’Epte marque
00:05:46
une nouvelle frontière entre les diocèses. Alors que
s’est-il passé ? Eh bien, les gens du Moyen Âge,
00:05:51
comme à leur habitude, ont repoussé la
frontière et combattu l’espace sauvage.
00:05:55
Pour commencer, les vies de saints parlent
souvent d’ermites chrétiens qui s’aventurent dans
00:06:00
les forêts, perçues comme des déserts, voire des
enfers spirituels, bref des zones à convertir. Ensuite,
00:06:06
les villes défrichent, grandissent, et veulent des
frontières plus fermes. Peu à peu, la forêt est
00:06:11
revenue dans l’espace civilisé. Elle devient même
une collection de droits, qui se juxtaposent les
00:06:17
uns aux autres : il y a les cochons qui mangent
les glands des sous-bois, les villageois qui
00:06:21
glanent le bois de chauffage, ceux qui prélèvent
des piquets de clôture, les exploitants qui
00:06:25
marquent les bois de construction, les cueilleurs
de champignons ou d’herbes médicinales,
00:06:29
les vanniers utilisant l’osier pour leurs paniers,
et tous ceux qui traquent le petit gibier…
00:06:34
Il faut se dire qu’à l’époque, nourrir le
bétail, et fournir le bois, ça forme deux
00:06:39
fonctions absolument vitales pour les gens !
Et pourtant, en profitant d'un vide juridique,
00:06:43
les rois carolingiens ont fait de la forêt de
Lyons un fisc, c’est-à-dire un trésor impérial.
00:06:48
Et c'est pourquoi eux seuls ont le droit d’y
chasser le grand gibier, et gare aux braconniers !
00:06:53
Plus tard, les rois font de grands dons pour la
fondation de monastères royaux : la forêt de Lyons
00:06:59
devient domaniale, elle appartient aux monastères,
qui captent une bonne part des droits anciens.
00:07:04
La boucle est bouclée : l’antique forêt païenne
sauvage est désormais une propriété exploitable,
00:07:10
chrétienne, avec un cadre juridique précis.
Les fonctions de chasseur-cueilleur n’ont
00:07:14
donc pas du tout cessé, bien au contraire !
En défrichant la forêt, en y chassant le gibier
00:07:19
qui ravage les récoltes, ou en utilisant son
sol pour nourrir leur bétail, les humains sont
00:07:24
restés des forestiers autant qu’ils sont
devenus des agriculteurs ou des éleveurs.
00:07:28
Encore aujourd’hui, seule la coexistence de
tous ces métiers nous permet de nourrir tout
00:07:33
le monde ! Et c’est pour ça que les gouvernements
successifs, des premiers rois jusqu’aux derniers
00:07:38
des présidents, ont pris des mesures pour
encadrer et pour soutenir les métiers forestiers.
00:07:42
Au 13e siècle, on s’est rendu compte qu'on
ne pouvait pas se contenter d’exploiter la
00:07:46
forêt par défrichement : il fallait
aussi la gérer à plus long terme,
00:07:50
afin de continuer à vivre de ses ressources. En
1219, une ordonnance de Philippe Auguste cite
00:07:56
pour la première fois les Maîtres des Eaux
et Forêts, qui gèrent le territoire, et même les
00:08:00
délits et crimes de droit commun qui se déroulent
dans les bois ! En 1291, Philippe le Bel affine
00:08:05
encore le rôle des Maîtres des Eaux et Forêts, ses
ordonnances expliquant le moindre détail, jusqu’au
00:08:10
gabarit des poissons pêchés, aux types de filets,
aux engins et nasses autorisées. Bref, ce n’est plus
00:08:16
seulement le bailli d’un seigneur féodal qui fait
appliquer la loi, mais bien un agent de l’État,
00:08:21
qui exerce un contrôle sur les ressources
naturelles. Ce sont de véritables enquêteurs.
00:08:26
En 1315, Louis le Hutin donne
une définition du mort-bois,
00:08:31
le bois sans valeur commerciale : encore
une fois, on crée des catégories, afin de
00:08:36
répartir les droits de chacun et de maximiser la
sauvegarde des forêts. On ne maîtrise pas encore
00:08:40
la biodiversité, notamment des insectes
qui vivent dans ces bois morts ! En 1346,
00:08:46
l’ordonnance de Brunoy promue par Philippe VI
donne pour mission aux fonctionnaires de
00:08:50
préserver le capital forestier, grâce à une gestion, je cite,
“soutenable” : on pourrait dire “durable” aujourd’hui,
00:08:57
car cette volonté n’a toujours pas changé ! Sous
le règne de Charles V, de 1371 à 1376, les Maîtres
00:09:04
des eaux et forêts sont désormais dirigés
par des “Souverain-Maîtres”. Ils parcourent
00:09:08
tout le royaume, et les officiers équipés d’un
marteau peuvent marteler, c’est-à-dire marquer
00:09:13
des arbres réservés aux rois. On a clairement
affaire à un service administratif complet,
00:09:18
à la fois très centralisé sur les intérêts de
la couronne, et capable de régenter tout le
00:09:22
territoire fiscal, c’est-à-dire appartenant
au roi ! C’est le fameux “régime forestier”,
00:09:28
qui a vocation à protéger les espaces boisés,
tout en les valorisant financièrement.
00:09:32
Je pourrais continuer longtemps cette liste,
mais on va abréger : un souverain après l’autre,
00:09:37
les Eaux et Forêts finissent par étendre leurs
pouvoirs à toutes les forêts, qu'elles soient
00:09:41
royales ou non. L’État veille aux ressources
du pays, et tant pis pour les mécontents !
00:09:46
On atteint des sommets en 1669, quand
le ministre Colbert réalise une réforme des
00:09:52
Eaux et Forêts. À chaque arbre sa fonction, à
chaque forêt son nom : le taillis, par exemple,
00:09:58
est uniquement constitué d’arbustes, des
arbres de petite dimension. À l’inverse,
00:10:03
la futaie est composée de très grands arbres,
aux troncs bien dégagés qu’on appelle des fûts.
00:10:08
C’est idéal pour les charpentes, terrestres
ou maritimes. Car oui : la puissante flotte
00:10:13
de Louis XIV a grand besoin de futaies. Les
propriétaires privés ont donc le droit d’exploiter
00:10:18
les taillis… mais ils sont obligés de réserver
une partie de leurs terrains à des futaies,
00:10:23
qu’ils n’ont pas le droit de couper
et doivent au contraire entretenir !
00:10:26
Une logique qui se poursuit après l’Ancien
Régime, sous la République, le Directoire,
00:10:31
l’Empire, et la Restauration. Il faut
dire que malgré les mesures prises,
00:10:35
la forêt représente désormais moins
d’un sixième du territoire national,
00:10:39
ce qui est beaucoup moins qu’avant. Et en plus,
la quantité ne fait pas tout. La qualité d’une forêt,
00:10:45
c’est la santé de ses arbres, la diversité
des espèces, sa capacité à se renouveler,
00:10:50
ses interactions avec la faune, et aussi
son utilité à venir pour les humains.
00:10:55
Au début du 19e siècle, la Révolution Industrielle
augmente encore la consommation de bois. Or, c’est
00:11:00
déjà le grand carburant de l’époque,
qui chauffe les gens et fait tourner
00:11:04
les usines. La crise écologique qui s’annonce
sera aussi forcément économique : pour l’État,
00:11:10
c’est donc le moment de durcir le ton. En 1824,
sous le règne de Charles X, l'École royale
00:11:16
forestière est ouverte à Nancy. Elle se veut,
à l’époque, héritière d’une tradition militaire.
00:11:21
Après tout, les forestiers du Moyen Âge étaient
des officiers royaux. Et plus récemment,
00:11:25
des régiments de gendarmes, d’éclaireurs, de
flanqueurs-chasseurs et autres chasseurs à
00:11:30
cheval étaient utilisés pour les guerres
modernes, notamment napoléoniennes.
00:11:34
Du coup, en plus des sciences naturelles,
botaniques et législatives liées à la forêt,
00:11:39
les forestiers reçoivent aussi une formation
militaire. Ce sont des experts, des hommes de
00:11:44
terrain, mais aussi de futurs représentants
du pouvoir. Ils sont donc réveillés au son
00:11:49
du clairon, portent l’uniforme, et même
une longue dague de chasse à la ceinture.
00:11:54
A partir de 1827, ils sont chargés de faire
appliquer le tout nouveau Code Forestier,
00:11:59
qui s’inspire des lois de 1669, mais en serrant
sacrément la vis ! La population, qui ne comprend
00:12:05
pas ou n'accepte pas forcément les mesures
d’un Code qui les prive de droits ancestraux,
00:12:09
(comme la cueillette, le chauffage, ou le pâturage) va
parfois jusqu’à la révolte armée ! C’est le cas lors de la
00:12:15
Guerre des Demoiselles, dans les Pyrénées. Furieux
des reboisements arbitraires, des habitants crient
00:12:20
“à bas les gardes forestiers !”, et ils profitent
de la nuit pour ravager leurs plantations. Les
00:12:25
gardes forestiers ont bien conscience d’accomplir
une tâche cruciale : c’est le cas par exemple sur
00:12:30
les littoraux, où la plantation de nouvelles
forêts sert à lutter contre l'ensablement
00:12:34
des villes et le paludisme ! Pour défendre cet
enjeu sanitaire, ils portent l’épée et le fusil.
00:12:40
D’ailleurs, lors de la guerre de 1870, certains
se portent volontaires au sein du Corps des
00:12:45
chasseurs forestiers. En 1890, l’école de Nancy
est reconnue comme faisant partie des armées. En
00:12:51
participant à plusieurs expositions universelles, et
en accompagnant de nombreux étudiants étrangers,
00:12:56
elle rayonne à l’international. Elle s'engage à
nouveau dans la Première Guerre mondiale,
00:13:00
et l’école reçoit même la Croix
de Guerre et la Légion d’Honneur,
00:13:03
d’autant que les stocks de bois jouent encore
une fois un rôle crucial dans le conflit.
00:13:08
Alors bien sûr, si vous croisez un forestier
de nos jours, il va pas vous charger à
00:13:11
cheval en soufflant dans une trompe, en principe !
Mais ça montre qu’à une époque, pour empêcher un
00:13:17
désastre écologique sans précédent face à
une révolution économique trop vorace, l’État
00:13:22
était capable de prendre sacrément les choses
en main, quitte à presque “militariser” la forêt !
00:13:26
En 1966, on décide de diviser les Eaux et
Forêts : les premières sont désormais gérées
00:13:32
par le ministère de l’agriculture. Les forêts
publiques, communales ou encore domaniales,
00:13:37
c’est-à-dire du domaine de l’État, sont
désormais administrées par l’ONF,
00:13:41
l’Office National des Forêts, qui vient d’être
fondé cette année-là. L’Office embrasse une
00:13:46
nouvelle logique : les communes vont contribuer
financièrement à la gestion des forêts communales,
00:13:50
et l’ONF peut vendre le bois qu’il exploite
directement dans les forêts domaniales.
00:13:55
On cherche donc à faire la part des choses :
entre des forêts qu’il faut rendre plus
00:13:58
accessibles au public, par l’entretien des
sous-bois, des chemins et des panneaux,
00:14:02
et les réserves naturelles qui au contraire
doivent rester des espaces bien préservés. Entre
00:14:07
les parcelles qui doivent répondre aux besoins
humains, et nourrir l’industrie du pays, et les
00:14:11
zones dédiées à la biodiversité, à la sauvegarde
d’espèces végétales et animales rares ou menacées.
00:14:17
Et tout ça, sur un même territoire !
Alors forcément dit comme ça,
00:14:20
on visualise une balance bien immobile,
où chaque chose reste bien à sa place
00:14:24
pour maintenir un équilibre éternel
et ancestral. Sauf que pas du tout,
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l’ONF n’est clairement pas tourné vers le passé,
plutôt vers l’avenir. Parce que rien n’est éternel,
00:14:33
et il faut sans cesse s’adapter, tout simplement
parce que tout bouge. À commencer par le climat !
00:14:39
Le métier de forestier est assez unique quand
on y pense. Comme plein d’autres, il a hérité d’un
00:14:43
savoir-faire très ancien, mis à jour par la
technique et la science moderne. En revanche,
00:14:48
il a récupéré autre chose venu du passé : un
patrimoine colossal, et la mentalité qui y est
00:14:54
liée. Imaginez un peu l’état d’esprit dans lequel
il faut être pour planter un arbre, un bosquet,
00:14:59
voire une forêt entière… et se dire que ça va
mettre des décennies à pousser, qu’on en récoltera
00:15:05
pas les fruits, et que tout ça, c’est pour la
génération suivante qui prendra le relais !
00:15:09
Comparez ça avec le travailleur indépendant qui est
payé à l’heure, le salarié qui accomplit des tâches à
00:15:15
la journée, à la semaine ou au mois, ou même avec
l’agriculteur, qui fait sa récolte chaque année…
00:15:21
Et là, y’a pas photo : gérer une forêt, c’est avoir une
relation au temps qui est complètement différente !
00:15:26
Du coup, forcément l’idée de transmission
est dans l’ADN fondamental du métier, ce
00:15:30
qui explique que le boulot a aussi été bien fait :
en 2 siècles, la surface forestière a doublé ! Et
00:15:36
ça continue : les 25 millions d’hectares de forêt
connaissent chaque année une croissance naturelle,
00:15:41
dont seulement la moitié est prélevée. Car
valoriser le bois en quantité n’est pas le
00:15:46
seul objectif : il faut aussi protéger la qualité
des forêts, des milieux naturels qui abritent des
00:15:51
dizaines d’essences d’arbres, mais aussi 73
espèces de mammifères, 120 espèces d’oiseaux,
00:15:57
30.000 espèces d'insectes, et 30.000 espèces de
champignons ! Et ça, c’est juste pour la métropole : je
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vous parle pas des 1.300 essences d’arbres et
400.000 espèces vivantes dans la forêt de Guyane !
00:16:08
À La Réunion, c’est encore une autre chose :
avant l’arrivée des Français, l’île était inhabitée.
00:16:13
Toutes les espèces végétales s’y sont donc
installées en faisant voler leurs graines
00:16:16
par-dessus la mer, et sous un climat tropical
comme celui de l’Océan Indien, ça a donné une
00:16:21
forêt hyper luxuriante. On peut y exploiter des
espèces spécifiques pour la construction ou
00:16:26
l’ébénisterie, comme le Cryptomeria du Japon
ou le Tamarin des Hauts. Mais là encore,
00:16:32
la biodiversité est un énorme enjeu,
surtout le tourisme qui afflue,
00:16:36
et sans compter qu’il faut aussi faire avec les
incendies et les redoutables cyclones tropicaux !
00:16:41
Préserver tout ça, c'est un travail de
titan, surtout quand on pense que ça
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se cumule avec l’obligation d’accueillir les
publics et de gérer les risques, parce que
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l’État a décidé d’ouvrir les forêts aux publics
de cyclistes, aux marcheurs, aux chasseurs,
00:16:54
aux cavaliers, et aux personnes en situation
de handicap ! Tous et toutes s’aventurent donc
00:16:59
dans un espace sauvage, avec ses dangers,
ce qui était pas possible autrefois !
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Il faut donc aménager des chemins balisés,
des panneaux et du mobilier, mais aussi
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faire de la prévention sur les différents
espaces et espèces protégées. Une douzaine
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d'applications mobiles existent rien que pour ça ! Mais
on ne parle pas seulement de dégager des accès
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en se débarrassant de quelques broussailles :
la surveillance de couloirs d’avalanches,
00:17:21
ou encore la maîtrise de dunes de
sable qui se déplacent sur les littoraux,
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tout ça demande énormément de temps
et de travail ! Si vous suivez l’actualité,
00:17:30
vous savez que la lutte contre les risques
d’incendies, c'est aussi un immense défi.
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Le problème, c’est qu’aujourd’hui le cœur même du
métier connaît un véritable bouleversement. Avec
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le réchauffement climatique, pour la première fois
les forestiers rencontrent des problèmes qu'aucun
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de leurs prédécesseurs n’ont connu. La forêt
change comme jamais, les sols et les arbres ont
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soif, les parasites attaquent, et de nombreuses
espèces bien connues de nos forêts dépérissent,
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ce qui risque de modifier la moitié du paysage
forestier ! En fait, il faut imaginer ce réchauffement
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climatique comme une véritable tempête, mais
lente, silencieuse, invisible… mais qui à la fin,
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a le même résultat désastreux sur les arbres !
Comme on a dit : tout bouge ! Et c’est pourquoi
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l’ONF doit proposer des solutions : c’est aussi
son rôle d’innover, et de pousser la recherche.
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Bon alors par contre, dans tout ce drama y’a quand même
une bonne nouvelle, et c’est un peu pour ça qu’on peut
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faire cet épisode sur l’histoire des forestiers…
La bonne surprise, c’est qu’en fin de compte,
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avec les progrès techniques d’aujourd’hui, et en
se calquant sur les savoirs du passé, eh bien on
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pourrait tout à fait refaire du bois un matériau
de pointe, qui aidera la transition écologique.
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Et ça c'est plutôt cool ! Chacun le sait, les arbres
absorbent le carbone, surtout s’ils sont en pleine croissance.
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Et si on les coupe, ce carbone reste alors stocké
dans la matière du bois : pour la construction,
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c’est donc une assez bonne solution ! Chaque
année, la forêt française et ses sols absorbent
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15% des émissions de CO2 du pays, et rien qu’en
remplaçant d’autres matériaux, type plastique,
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par des produits bois, on diminue encore ces
émissions de 8%, en diminuant l’utilisation
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d’énergie fossiles. 23% des émissions de CO2 du pays à lui
seul, c’est un joli score, et encore faut se dire que ce bois
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peut aider à penser des constructions avec de
meilleures isolations, et c’est encore tout bénef !
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Couper du bois, quand c’est
bien fait, c’est une très,
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très bonne chose ! Finalement la vision
passée d’une forêt obscure à affronter va
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s'atténuer, parce qu'en apprivoisant et en collaborant
avec la nature, eh ben on se facilite la vie ! Le
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bouleversement climatique va radicalement
changer notre rapport avec la forêt,
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qui va peut-être encore plus faire partie de notre
quotidien. Mais rassurez vous : gérer la forêt de
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façon durable, c’est la boussole des forestiers
depuis le 14e siècle, alors ils savent faire !
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Pour accompagner la forêt face à ce nouveau
défi, l’ONF met en place la forêt mosaïque.
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L'objectif : renforcer la diversité partout, dans les
nombres des espèces d’arbres, la structure de
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la forêt, les habitats pour la biodiversité,
etc. La relation entre l’homme et la forêt,
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c’est une longue histoire qui n’est pas prête de
se terminer, car si elle est gérée durablement,
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elle n’a pas fini de nous offrir toutes ses
richesses écologiques et sociétales… des
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richesses renouvelables et inépuisables
si on respecte la vie des écosystèmes !
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Merci à l’ONF et à toutes leurs équipes :
d’une part ils font un boulot formidable,
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essentiel pour nous tous, mais en plus ils en
parlent avec passion, et ils ne rechigneront
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jamais à vous expliquer si vous les croisez en forêt, si
vous avez des questions, et ça c’est un plaisir ! J’espère
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en tout cas que cet épisode vous poussera à découvrir
encore plus de choses sur la forêt, peut-être
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que vous lirez des ouvrages ou irez
voir d’autres chaînes YouTube. Mais
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mon conseil pour en apprendre plus, c’est
aussi d’enfiler vos bottes et vos baskets,
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et d’aller voir directement sur place. Alors
bonne balade, et à très bientôt sur Nota Bene !